Tavaux,
30-31 août 1944
Village Martyr.
Aisne 1944: Un été de sang et de larmes. Copyright Alain NICE.
SOMMAIRE
- Introduction : la libération de l'Aisne et le drame de Tavaux
- Tavaux, haut lieu de la Résistance Française
- Nuit du 27-28 août 1944 : parachutage au Val Saint-Pierre
- 30 août 1944, accrochages entre SS et résistants
- L'opération de représailles
- 31 août 1944, la Résistance libère Tavaux - Un terrible bilan
- Un village en ruines
- Les obsèques des victimes
- Les auteurs du massacre
- Le temps de la Solidarité
- Reconstruction, dommages de guerre et baraquements
- 1947, Médaille de la Résistance - Un monument pour ne pas oublier
- Le temps des commémorations
INTRODUCTION
A la fin de l'été 1944, après deux mois et demi de combats intenses, la bataille de Normandie est perdue pour les Allemands qui refluent sur la Seine. En deux jours, dans la poche de Falaise, Hitler a perdu ses meilleures troupes. La route de Paris est ouverte et la capitale se soulève le 19 août.

Pour en finir avec le Reich, les Alliés déploient trois armées avec comme objectif la Ruhr, le cœur industriel du Reich.
Le département de l'Aisne est sur la trajectoire directe de la 1ère Armée américaine du général Hodges qui reçoit l'ordre de foncer vers le nord de l'Aisne et les Ardennes puis de gagner Maubeuge et Mons pour bifurquer ensuite en direction du Rhin.
Pendant que le 5ème Corps du général Gerow est occupé à libérer Paris, le général Hodges décide d'attaquer avec seulement deux corps d'armée : à gauche, le 19ème Corps du général Corlett et à droite le 7ème Corps du général Collins.

Le 26 août, Collins attaque depuis Melun. Les chars américains de la 3ème A.D. (3ème division blindée) progressent rapidement dans le sud de l'Aisne. Château-Thierry est libéré dans la nuit du 27 au 28 août. Le 29 août, les Américains sont à Soissons et sur l'Aisne. Laon est libérée le mercredi 30 août à midi.
Collins lance alors ses troupes vers la vallée de la Serre, où se trouvent deux divisions SS, et vers l'est et le nord-ouest des Ardennes. Arrivés en milieu d'après-midi dans le secteur de Rozoy-sur-Serre, Signy-l'Abbaye et Rethel, l'avant-garde américaine reçoit brusquement l'ordre de stopper sa progression vers l'est et d'obliquer de 90° vers la gauche, vers le nord, en direction d'Hirson, Avesnes-sur-Helpe, Maubeuge.
St Quentin est libéré le 2 septembre par la 5ème A.D. (5ème division blindée) du général Gerow qui, après Paris, a foncé vers le nord de l'Aisne. Il faudra attendre le 4 septembre, pour que le département de l'Aisne fête sa libération totale.
Partout, c'est l'explosion de joie pour accueillir les libérateurs américains mais cette libération a un goût amer. Dans le nord de l'Aisne, cette libération est faite de sang et de larmes.
Comme elle en avait reçu l'ordre, partout où elle le peut, la Résistance attaque les Allemands qui battent en retraite.
Dans quatre villages, des accrochages avec la Résistance entrainent des représailles impitoyables de la part des Allemands qui battent en retraite. Le mercredi 30 aout, dans la vallée de la Serre, le village de Tavaux est mis à feu et à sang par les SS. Un peu plus au nord, le lendemain, le jeudi 31 août, des drames identiques se déroulent en Thiérache à Braye en Thiérache, à Plomion puis au hameau du Gard à Etreux le 2 septembre 1944.
La Libération tant attendue, tant espérée a tourné au drame.


TAVAUX 30 août 1944
Au moment même où le sud de l'Aisne est libéré, le jour même de la libération de Laon, Tavaux et Pontséricourt, un gros village de la vallée de la Serre de plus de 800 habitants, est mis à feu et à sang par les troupes nazies en retraite. 80 ans après, ce drame reste présent dans toutes les mémoires. Pour les familles des victimes et pour de nombreux habitants du village, les plaies sont loin d'être refermées.



TAVAUX, HAUT LIEU DE LA RÉSISTANCE FRANÇAISE
André Louis PERBAL, alias « Christophe », un précurseur
Né à Mercy-le-Haut (Meurthe et Moselle) le 9 septembre 1908, géomètre-expert de profession, il fut l'un des premiers à ne pas accepter la défaite.

Fait prisonnier le 18 juin 1940, il s'évade de Tournes (Ardennes) et entre en contact avec un agent de renseignements de Chateauroux qui le charge de fournir des informations sur la présence allemande dans le son secteur de l'Aisne.
C'est ainsi qu'André Perbal intègre un service de renseignements militaires comme agent P1 puis P2 au sein du réseau « S.R. Kléber (Poste 3) » des Forces Françaises Combattantes (FFC) avec le grade de sous-lieutenant du 15 décembre 1940 au 27 mars 1942.
Depuis Tavaux, il aide de nombreux prisonniers Français évadés à franchir la ligne de démarcation entre zone interdite et zone occupée notamment à Pontavert. De par sa profession de géomètre, il peut se déplacer dans le département et entre en contact avec Paul Nicolas, de St Erme, originaire de Tavaux et Jacques Nolle d'Aulnois sous Laon.
Leur mission : la surveillance des unités allemandes du camp de Sissonne, le passage et l'embarquement des trains de troupes à St Erme ainsi que la surveillance des aérodromes devenus allemands de Juvincourt, Samoussy et Couvron.
Suite à la découverte par les Allemands d'une liste d'agents travaillant en zone Nord et d'une imprudence (envoi d'un mandat en zone libre), André Perbal fut arrêté à son domicile à Tavaux rue du Bloc le 27 mars 1942 pour activité anti allemande. Interné à la prison de Fresnes, il fut dirigé ensuite sur la prison de Loos (Lille) où il resta plusieurs mois.
Il sera déporté en Allemagne le 29 août 1942 à Bochum puis transféré ensuite à Dortmund en mai 1943. Condamné à mort par le tribunal militaire d'Essen, il sera exécuté le 2 juin 1943.

Un groupe de résistants très actifs
L'histoire du groupe de Résistance de Tavaux et de l'ensemble du secteur commandé par Pierre Maujean, son chef, ne se limite pas au seul drame du 30 août 1944. Il est impossible de comprendre ce drame de Tavaux sans connaître un minimum l'histoire de ce groupe de résistance qui fut l'un des plus actifs du département de l'Aisne.




Ce groupe est né en mai 1942, à l’instigation de Pierre Maujean, alias Jojo
, sous-officier marinier, et de Maximilien Jacquemart, mécanicien garagiste à Tavaux. C’est donc dès 1942 que ces deux hommes vont entrer en résistance, refusant la défaite et l’occupation de leur pays. Très tôt, ils prennent contact avec les résistants du secteur d’Aubenton-Brunehamel qui est alors sous les ordres d’Emile Fontaine et rattaché à la Résistance des Ardennes, au secteur de Signy-l’Abbaye. Ce vaste secteur regroupe quatre cantons ardennais et trois cantons de l’Aisne : Aubenton, Rozoy-Montcornet, Sissonne et Marle.
En mars 1944, Emile Fontaine, tué par les Allemands, est remplacé par Henri Lallement, alias Georges
, originaire de Rumigny, qui devient le chef direct de Pierre Maujean. Ce n’est que très tardivement, le 25 août 1944, que le groupe de Tavaux intégrera la Résistance de l’Aisne.
Ayant reçu pour mission de recruter des hommes et créer çà et là des petits groupes de sabotage, Pierre Maujean établit rapidement des contacts avec des hommes comme René Richard (alias Albert
), huissier de justice à Rozoy-sur-Serre, Paul Nicolas (alias Marchal
), charron à Saint-Erme, originaire de Tavaux, François Depoorter, chef de gare à Montcornet, l’abbé Avot, curé de Bucy-lès-Pierrepont, Henry Leroy, instituteur à La Neuville-Bosmont, et plusieurs autres qui, devenus chefs de groupes, ont à leur tour la charge de recruter d’autres hommes.
Régulièrement, à partir de juin 1944, date à laquelle il est nommé lieutenant FFI, Pierre Maujean gagne le maquis Baïonnette
dans la forêt de Rumigny (Ardennes) où il vient rendre compte à Georges
des actions de son groupe et de l’ensemble du secteur dont il a la charge. Intrépide résistant, en juin puis début août 1944, Pierre Maujean effectuera à pied, avec son groupe, deux expéditions jusqu’au maquis des Manises à Revin.



Dès le printemps 1944, outre les renseignements sur les mouvements de troupes, les cambriolages de mairies, la collecte d’armes, la récupération d’aviateurs alliés, l’organisation de filières d’évasion…, la liste des sabotages s’allonge et les résultats sont spectaculaires. La gare de Montcornet, la ligne Laon-Liart, très fréquemment utilisée par les convois militaires allemands et la ligne Marle-Montcornet sont particulièrement visées et les sabotages succèdent aux sabotages, à tel point qu’en août 1944, le trafic ferroviaire est quasiment paralysé dans ce secteur. C’est dans ce contexte de guérilla incessante et dans la perspective d’obtenir enfin un parachutage d’armes que, le 25 août 1944, Pierre Maujean cesse tout contact avec la Résistance ardennaise et se rapproche du capitaine FFI Etienne Dromas, chef du secteur B de l’Aisne, qui va lui faire obtenir un parachutage d’armes au Val Saint-Pierre dans la nuit du 27 au 28 août.




Nuit du 27-28 août 1944 : parachutage au Val Saint-Pierre



Situé en lisière sud de la forêt du Val St Pierre à environ deux kilomètres au nord de Tavaux, ce terrain fut utilisé à plusieurs reprises notamment par les résistants du secteur C de Vervins sous les ordres de Jean Merlin. En tout, ce terrain reçu trois parachutages en 1943, puis trois autres parachutages en 1944, le dernier dans la nuit du 27 au 28 août 1944 destiné aux hommes de Pierre Maujean.
A l'annonce du message diffusé par radio Londres, Mimi embrasse Lili ce soir à minuit
,
une équipe du B.O.A. (Bureau des Opérations Aériennes) du secteur de Vervins se rend sur le terrain
Sang
en lisière de la forêt du Val Saint-Pierre, à quelques kilomètres à peine au nord de Tavaux.
L'avion largue plusieurs containers qui sont réceptionnés et stockés en lisière de la forêt.
Les armes parachutées sont destinées au secteur de Tavaux et de St Erme.

Pierre Maujean en est averti le lendemain, le lundi 28 août et organise le transfert des armes à Tavaux, au beau milieu des Allemands qui battent en retraite et qui refluent vers le nord, talonnés par les Américains.
Une fois les containers d'armes acheminés à Tavaux, le lundi 28 août, les résistants de Tavaux en effectuent l'inventaire. Une partie prend la direction de St Erme au nez et à la barbe des Allemands.
Au milieu de cet important stock d'armes, les résistants ont la surprise de découvrir dans un petit container une grosse somme d'argent composée de 22 millions de francs en billets et 5 millions en bons du Trésor et destinée au chef départemental de la Résistance le colonel De Sarrazin. Après la tragédie du 30 août, cet argent quittera Tavaux mais disparaîtra mystérieusement sans jamais arriver à St Quentin.

A Tavaux, comme dans les villages voisins, les habitants assistent à la retraite. Les Américains sont tout proches et arrivent à St-Erme en cette fin de matinée du 29 août. Le lendemain 30 août à midi, Laon est libéré au moment même où va se jouer le drame de Tavaux.
30 août 1944, accrochages entre SS et résistants

30 août 1944, deux divisions SS sur la Serre
Le mardi 29 août, le reflux allemand vers le nord se poursuit et le camp de Sissonne est abandonné. L'objectif des Allemands en retraite est d'établir une nouvelle ligne de défense le long de la Serre puis d'opérer un regroupement dans la forêt d'Hirson. Pour tenter de stopper les Américains, la 1ère Panzer Division SS « Adolf Hitler » établit sa ligne de défense à l'ouest dans le secteur de Marle, tandis que la 12ème Panzer Div. SS « Hitlerjugend » s'installe dans le secteur de Montcornet et Rozoy.

30 août 1944, au matin, fusillades sur la place du village
Le matin du mercredi 30 août, alors que la plupart des résistants du groupe de Tavaux sont occupés à nettoyer les armes parachutées, Pierre Maujean apprend que les Allemands menacent de faire sauter le pont tout proche de Saint-Pierremont. Aussitôt, il rassemble ses hommes qui s'arment et partent en deux colonnes en direction de St Pierremont avec l'objectif d'empêcher la destruction du pont.

La première colonne a à peine parcouru quelques centaines de mètres dans la Grand'rue que Pierre Maujean est averti par une institutrice que des Allemands se trouvent au café de la Place ; il décide aussitôt de les capturer en contournant un pâté de maison par la rue du Bloc.


Arrivés sur la place, près du café, à deux pas du monument aux morts, les résistants se retrouvent nez à nez avec trois soldats SS qui quittent le café. Une fusillade éclate. Un jeune SS est blessé au ventre et capturé tandis que les deux autres parviennent à s'enfuir à travers les jardins. Une autre version indique précise qu'un autre SS aurait été tué sur place.


La fusillade est à peine terminée qu'un camion allemand chargé de fûts d'essence venant de Marle, survient sur la place au milieu du groupe de résistants. Le camion stoppe brutalement. Une nouvelle fusillade éclate. Les deux occupants du camion réussissent à s'enfuir à travers champs en direction de Marle tout en blessant mortellement un jeune résistant du groupe de Tavaux, Henri Mourain, qui, faute de soins, décèdera dans la nuit.



Arrivés à Marle, les Allemands donnent l'alerte.
Pendant ce temps, le camion d'essence stoppé au beau milieu de la place est capturé puis camouflé à proximité dans un verger. Il n'est pas loin de midi.
Au même moment, à quelques centaines de mètres de là, à Pontséricourt, Arthur Clémensart, un résistant, chargé de surveiller le pont, alerté par la fusillade, quitte son poste et remonte la rue à l'Eau. Arrivé près du garage Jacquemart, il tombe nez à nez avec un des Allemands du café qui s'enfuit vers la ferme de Malaise. Ce résistant court au dépôt d'armes, prend une mitraillette et se lance à sa poursuite.
Sur la route de Malaise, à peine sorti du village, alors qu'il s'apprête à abandonner ses recherches, il aperçoit un véhicule de reconnaissance allemand venant vers Tavaux. Il saute du talus, ouvre le feu, tue un officier et le chauffeur et blesse le troisième occupant. Le véhicule fait une embardée et reste sur place, couché sur le côté.
Peu de temps après ce nouvel accrochage, alertés, les hommes de Pierre Maujean se rendent sur place. Ils tentent vainement de redresser et de camoufler le véhicule couché sur le côté. Le corps de l'officier est abandonné au pied d'une haie. Le chauffeur, tué, reste au volant. Pendant ce temps, le troisième occupant du véhicule, blessé d'une balle dans le cou, s'était enfui à travers champs et ira donner l'alerte à Vigneux Hocquet.



L'opération de représailles est imminente.
Pendant midi, les résistants se regroupent, ordre est donné de déménager le stock d'armes dans un bois tout proche. Pierre Maujean est inquiet, il redoute des représailles et décide d'envoyer le père d'un de ses hommes chercher du secours à St-Erme.
C'est à ce moment précis, vers 13h30, que l'opération punitive montée par les SS commence : Nous avions à peine terminé de manger lorsque nous avons vu les chars arriver et entendu le canon tonner...
raconta plus tard un rescapé.
En effet, en tout début d'après-midi, Tavaux est encerclé puis investi par les Allemands.
Venant de la ferme de l'Espérance, un char Tigre chargé de soldats pénètre dans Tavaux par le sud,
se met en position sur la place et tire plusieurs obus au hasard sur des habitations civiles. Venant de Marle, un autre char Tigre ainsi que des automitrailleuses investissent le village par l'ouest.
Une de ces automitrailleuses se met en position à la sortie nord de Tavaux, sur la route de la Corrérie,
et interdit toute fuite vers la forêt du Val St Pierre.
De même, arrivant de Vigneux-Hocquet un autre char Tigre et des camions de troupes investissent Tavaux par l'est.
Tavaux, 30 août 1944, 14h. L'opération de représailles


Au bruit du canon et au cri de Les Boches arrivent !
, les résistants se replient vers la forêt du Val St Pierre.
Parmi les habitants, c'est la stupeur. Tous les civils essaient de fuir le plus vite possible vers les bois,
les bosquets ou se réfugient dans les abris-tranchées creusés derrière les habitations.
Beaucoup de ces civils ignorent encore ce qui s'est passé le matin même au cœur du village entre résistants et soldats allemands. Ils ne comprennent pas ce qui leur arrive.
Bientôt la panique et l'angoisse sont encore plus grandes lorsqu'ils entendent les rafales de mitraillettes, l'explosion des grenades, les hurlements des Allemands et le crépitement caractéristique des maisons en flammes.
La matinée s'achève, Maman est soucieuse, le repas est vite expédié, je me souviens de cette omelette avalée à la hâte…Que redoute Maman ? nous ayant installés dans l'abri construit dans le jardin, Maman s'aventure chez le boulanger. A peine nous rejoint-elle, le pain sous le bras, que le premier obus tombe sur la maison voisine…la panique nous gagne, Maman cache son émotion et accueille dans notre retraite nos cinq voisins ainsi que Jacqueline qui est prête à accoucher. Nous voilà donc à 12, on entendait une mouche voler…
TAVAUX brûle !
Par petits groupes, les SS investissent chacune des maisons, chassent les habitants à coups de crosse et à coups de pieds, cherchent l'argent, les valeurs, les bijoux, rassemblent tout ce qui peut brûler dans une pièce et y mettent le feu à l'aide de grenades incendiaires ou de lance-flammes. Les unes après les autres, maisons et fermes sont la proie des flammes. Les animaux encore enfermés hurlent de panique.
Dans la partie ouest de Tavaux, là où les SS firent preuve d'une certaine mansuétude, puisque seul M. Boulet fut blessé par balle, les rares civils qui tentent de s'interposer sont refoulés sans ménagement ou, sous la menace des armes, enfermés comme otages dans une grange près de la Poste. Très souvent les SS les comptent et les menacent : Si un seul coup de feu est tiré contre nous, vous serez tous exécutés !
. Les SS veulent savoir où se cachent les résistants, où se trouvent le dépôt d'armes ainsi que le camion d'essence capturé le matin.
Un jeune homme de 18 ans va connaître une aventure assez exceptionnelle. Capturé par les Allemands, il est emmené sur la place, installé sur un char Tigre et sommé par un officier de désigner les maisons des résistants, il ne dira rien. Pendant plusieurs heures, il est questionné et assiste impuissant aux pillages et aux incendies. Finalement, il sera relâché et réussira à regagner la ferme de ses parents. La ferme est en feu mais il parviendra à détacher les chevaux de l'écurie et à sauver les papiers de famille.
Malgré le danger, certains habitants osent affronter les SS ou implorer leur pitié : Mme Guinet, la femme du maréchal-ferrant, victime de graves brûlures, repoussera à plusieurs reprises les engins incendiaires jetés dans sa maison. D'autres réussiront à apitoyer les soldats ainsi, route de Marle, un Allemand, de la paille plein les bras pour mettre le feu, s'apitoie devant une famille en pleurs. La maison ne brûlera pas.
Au nord de Tavaux, un drame se joue : l'automitrailleuse en position route de la Corrérie ouvre le feu sur les résistants qui se replient vers la forêt du Val St Pierre. Personne n'est touché mais la mort frappe la famille Chalmet. Alors qu'ils tentent de gagner la ferme de Bellimont avec un attelage, M. Chalmet et ses fils sont pris sous le feu de l'automitrailleuse.

Le jeune Marcel Chalmet, âgé de 18 ans, s'écroule, tué d'une balle de mitrailleuse.

Dans la partie est de TAVAUX, c'est le carnage, le massacre des civils :
Rue de la Doie et rue des Bernats (rue à l'Eau), faute de résistants, c'est la chasse aux civils qui s'organise. Les jeunes SS de la division Hitlerjugend, rendus furieux par la découverte du corps de leur officier et fortement imbibés d'alcool, sont déchaînés et tirent sur tout ce qui bouge.
A l'entrée de Tavaux, après la ferme de Malaise, au lieu-dit Clairval, Mme Milzareck, 44 ans, paralysée, est abattue dans son lit. Son corps carbonisé sera retrouvé dans les ruines de sa maison.
Une à une, les maisons sont investies, pillées puis incendiées. Tous les civils rencontrés par les Allemands, hommes, femmes et enfants sont systématiquement exécutés, froidement, d'une rafale de mitraillette ou d'une balle dans la tête.
Alfred Debois, 46 ans, parti à la recherche de son fils, est abattu en pleine rue. Louis Van Hyfte, blessé à la nuque, n'obtiendra son salut qu'en faisant le mort.
Dans la rue à l'Eau (rue des Bernats), à proximité du café Mourain, une famille entière réfugiée dans une cave est massacrée. Les uns après les autres, Noël Lalin, 40 ans, Mathilde Lalin, 80 ans, sa mère, Angèle Lefèvre, 57 ans, et deux jeunes enfants, Roland Hurson, 11 ans, Jocelyne Hurson, 6 ans, sont exécutés à bout portant d'une balle dans la tête. A proximité, Ernest Oudelet, 65 ans, qui tente de s'enfuir dans une pâture est mortellement blessé d'une balle dans le dos. Un peu plus loin, Marie Carlier, une vieille dame de 87 ans, est abattue d'une balle dans le front. Claire Caillot, 65 ans, gît à l'entrée de sa cave, tuée par l'explosion d'une grenade.





Au bas de la Grand'rue, Théophile Clémensart, 70 ans, Mme Lebrun, 69 ans, Mme Mennesson, 70 ans, sont abattus froidement.
Le massacre se poursuit ensuite dans la rue de la Doie où habite le chef de la résistance. Pierre Bedoux, 74 ans, et sa femme, 70 ans, sont alignés contre un mur et fusillés sur place. Au bout de la rue, Albert Rasset, 66 ans, est abattu d'une balle dans la tête.


A quelques mètres de là, dans la maison de Pierre Maujean, gisent les corps de deux femmes : Mme Simone Vié, 34 ans, épouse d'un résistant, est allongée devant la maison, exécutée d'une balle dans le dos, son corps arrosé d'essence est à demi carbonisé. A l'intérieur gît le corps à demi carbonisé d'Odette Maujean, 30 ans, l'épouse du chef des FFI. Blessée d'une balle dans la mâchoire et d'une autre dans la cuisse, arrosée d'essence, elle a été brûlée à côté de ses 5 enfants enfermés dans la cave. Ces 5 enfants, dont le plus âgé a 9 ans et la plus jeune 8 mois, ne devront leur salut qu'au courage d'un résistant, Arthur Clémensart, qui les fera sortir de la maison.


30 août, la mort de Gabriel Vasseur

Alors même que Tavaux brûle, non loin de Tavaux, à la ferme de l'Espérance, en cette fin de journée du 30 août se joue un autre drame.
Arrivés en même temps que les Américains à Montigny le Franc, où ils apprennent que Tavaux brûle, trois résistants du groupe de Pierrepont dont Gabriel Vasseur (originaire de St Erme) décident de partir en reconnaissance jusqu'à la ferme de l'Espérance. Il est convenu avec les Américains que si ceux-ci n'entendent pas tirer, c'est que la voie est libre. Arrivés à la ferme, les résistants prennent contact avec le propriétaire et peu de temps après ils sont rejoints par une automitrailleuse américaine.

C'est à ce moment-là que Gabriel Vasseur décide d'aller en reconnaissance vers Tavaux en faisant le tour de la ferme. Quelques minutes après son départ, une fusillade éclate derrière la ferme. Gabriel Vasseur est tombé sur une patrouille allemande. Des échanges de tirs ont lieu entre résistants, Américains et Allemands. La nuit venue, vers 21h30, le repli est ordonné vers Montigny le Franc où deux chars américains sont arrivés. Ce n'est qu'arrivés à Montigny le franc que les résistants s'aperçoivent de l'absence de Gabriel Vasseur.
Son corps ne sera retrouvé que le lendemain matin 31 août dans un champ de lin près de la ferme de l'Espérance et ramené dans un bâtiment de la ferme. Gabriel Vasseur avait 24 ans.
31 août 1944, la Résistance libère Tavaux

En pleine nuit, l'alerte est donnée à St-Erme. Tous les résistants du secteur, sous les ordres de Paul Nicolas, chef FFI, se mobilisent pour porter secours à Tavaux. Vers midi, des camions chargés d'hommes en armes partent en direction de Tavaux. Arrivés à Montigny-le-Franc, un premier contact est établi avec des éléments américains stationnés sur place. Sur intervention des chefs FFI, le bombardement de Tavaux est évité de justesse. Une patrouille est organisée jusqu'à la ferme de l'Espérance avec un véhicule blindé américain puis prudemment jusqu'à l'église de Pontséricourt. Les résistants suivent, tandis que les troupes américaines respectent l'ordre de leur état-major de ne pas passer la Serre.
Un premier groupe de résistants, envoyé en reconnaissance près de la gare de Tavaux, essuie des coups de feu. Répartis en deux groupes, ils entament leur progression vers le centre du village : un groupe part sur la gauche avec comme objectif le Château
, l'autre groupe s'avance sur la droite, suivi de près par l'équipe sanitaire emmenée par le docteur Samain. Nous visitons les premières maisons sans autre résultat que de risquer de brûler nos chaussures. Enfin, nous pénétrons plus avant dans le village sur la droite par la
déclare le docteur Samain.ruelle à l'eau
et nous découvrons les premiers cadavres
Des échanges de tirs ont lieu avec des Allemands embusqués dans un bosquet. A ce moment précis, les Allemands sont encore présents dans Tavaux, notamment route de Marle où un char Tigre stationnent près d'un lavoir. Une automitrailleuse effectue plusieurs allées et venues dans la Grand'rue.
Tous les civils sont terrés dans leurs abris, personne n'ose bouger. Route de Marle, à la sortie ouest de Tavaux, plusieurs civils, cachés au fond d'une tranchée, sont découverts, pris en otages et obligés de se regrouper dans la maison du percepteur.


Partout les résistants progressent. Sur la place, près de l'église, des accrochages ont lieu entre des Allemands et des résistants armés d'un fusil mitrailleur qui tirent sur tous les véhicules allemands qui passent à proximité. Les résistants et les membres de l'équipe sanitaire du Dr Samain découvrent petit à petit l'ampleur du massacre.
Quelques civils hébétés sortent de leurs abris. L'horreur est à son comble lorsque l'on retrouve les corps à demi carbonisés de Mme Vié et de Mme Maujean. Un sentiment de vengeance s'empare des hommes présents. Plusieurs soldats allemands capturés sont exécutés sommairement.
Ce n'est qu'en fin de journée que Tavaux est libéré totalement par les résistants venus en nombre. Les chars Tigre se sont repliés vers Burelles. Les premiers éléments blindés américains, ayant enfin reçu l'ordre de passer la Serre, entrent dans Tavaux sans combattre venant d'Agnicourt et de Marle.

Un terrible bilan
Pour le village de Tavaux, le bilan de ces dramatiques journées est terrible : 21 morts dont 20 civils ainsi qu'un jeune résistant du groupe de Tavaux. La quasi-totalité du village est en ruine : 86 maisons, dont plusieurs fermes, ont été incendiées et détruites. Sur 218 foyers, 90 sont en cendres, 346 habitants sont sans abri.
Pour les civils, la libération a un goût amer et l'arrivée des Américains est loin de susciter des effusions de joie.
Partout, c'est l'horreur et la désolation: les ruines encore fumantes des maisons incendiées, des animaux affolés qui errent dans les rues, des civils en armes, des résistants, des équipes de secours, des cadavres : des cadavres de civils, des cadavres de soldats allemands abandonnés dans les rues; et des civils encore, rescapés du massacre, totalement égarés, hébétés, errant eux aussi dans les rues ou à proximité de leurs habitations, les yeux rougis par la fumée, hagards, et qui réalisent à peine ce qui vient de leur arriver.
Au soir du 31 août et le lendemain 1er septembre, venus des villages environnants, des civils atterrés découvrent l'ampleur du massacre. Ordre est donné de confectionner à la hâte des cercueils.


Un village en ruines

Les images ci-dessous montrent l'ampleur des destructions et les étapes de la reconstruction de Tavaux dans les années suivant le drame.






Ces images témoignent de l'ampleur de la destruction et montrent comment le village a été progressivement reconstruit après la guerre, parfois dans un style différent de l'original, mais souvent en respectant la structure traditionnelle des maisons de la région.

































Le lendemain, 1er septembre 1944
Les corps sont regroupés et mis en bière. On prépare la cérémonie des obsèques qui se déroulera le jour suivant dans l'église de Tavaux épargnée.







Les scènes suivantes témoignent de la douleur immense des familles face à la perte de leurs proches. Les corps sont progressivement récupérés et préparés pour les obsèques collectives qui auront lieu le lendemain.



Le 2 septembre, lors des obsèques, la tension est telle qu'en pleine cérémonie religieuse le déclanchement des flashs des photographes entraîne un mouvement de panique parmi la foule.

La détresse des habitants était immense, beaucoup venaient de perdre un être cher, un proche, un membre de leur famille, un ami, abattu, martyrisé par la soldatesque nazie. Ces gens n'avaient plus rien, hormis les vêtements qu'ils portaient le 30 août lorsqu'ils s'enfuirent ou se cachèrent pour échapper au massacre, ils étaient privés de tout, de leur foyer, de leur maison, de leurs biens, de leurs souvenirs détruits par le feu.
Les auteurs du massacre de Tavaux :
des SS des divisions Adolph Hitler
et Hitlerjugend
Face à eux, les résistants eurent en effet affaire à deux des plus terribles divisions SS, la 1e SS Pz.Di Adolph Hitler
venue de Marle et 12ème SS Pz.Di. Hitlerjugend
, des soldats totalement fanatisés, équipés de chars Tigre et contre lesquels les résistants ne pouvaient rien. Ces deux divisions étaient des divisions d’élite
, aguerries au combat. La division “Adolph Hitler” avait combattu sur le front russe et était accoutumée à des actions de représailles particulièrement féroces avec massacres de civils et villages rasés. Quant à la division Hitlerjugend
composée de jeunes soldats issus des jeunesses hitlériennes, elle s’illustra par le massacre d’Ascq près de Lille (86 otages fusillés les1-2 avril 1944) et celui de l’abbaye d’Ardennes en Normandie (exécution sommaire de 20 prisonniers canadiens les 7-8 juin 1944). Après la Libération, plusieurs procès pour crimes de guerre impliquèrent des hommes de ces deux divisions SS. Fin août 1944, ces deux divisions étaient commandées par le SS-Brigadeführer Wilhem Mohnke, commandant de la division Adolph Hitler
et le SS-Sturmbannführer Kurt Meyer, commandant de la division Hitlerjugend
.
Les ordres étaient formels : attaquer, attaquer par guérilla les troupes allemandes en retraite pour provoquer une pagaille complète…
Fallait-il attaquer les Allemands ?
Georges
, Henri Lallement, le chef direct de Pierre Maujean, est clair là-dessus : Les ordres étaient formels : attaquer, attaquer par guérilla les troupes allemandes en retraite pour provoquer une pagaille complète…
Partout en France, la résistance avait reçu des ordres comme celui-ci. L’objectif était clair, il fallait entraver au maximum et d’un seul coup, l’ensemble des transports stratégiques et tactiques ennemis, démoraliser l’ennemi qui ne se sentira plus en sécurité sur aucun point de notre territoire
avait écrit le général Koenig. Le général de Gaulle lui-même, dans son allocution du 6 juin, avait lancé cet appel : Pour les fils de France, où qu’ils soient, le devoir simple et sacré est de combattre avec tous les moyens dont ils disposent. Il s’agit de détruire l’ennemi qui écrase et souille la patrie, l’ennemi détesté, l’ennemi déshonoré
.
Qu’allait donc faire Pierre Maujean ? Attendre tranquillement l’arrivée des Américains ? Ranger les armes qui venaient de lui être parachutées et ne pas s’en servir ? Mettez-vous à leur place, pendant quatre ans vous avez attendu des armes pour pouvoir faire quelque chose, pour aider les Alliés et aussi, il faut bien le dire, se venger car, on n’aimait pas les Allemands, il y avait la haine des
explique Boches
. Donc pendant quatre ans ils ont attendu des armes Ah ! si on avait des armes…, Ah ! si on pouvait se battre.
. Et, du jour au lendemain, ils ont des armes, on les leur donne… Alors, ils vont les graisser et attendre que tout soit fini, que les Américains arrivent et ne pas s’en servir ? C’est impensable !Georges
.
Char Tigre abandonné sur la place de Marle le 31 août 1944, ce char est probablement intervenu à Tavaux le 30 août.
Le drame de Tavaux ne fut pas un cas isolé. A proximité immédiate de Tavaux, un peu plus au nord, dans les jours qui suivent le massacre, d’autres drames se sont déroulés, perpétrés par les mêmes soldats SS. Le 31 août, à Braye-en-Thiérache, les SS prennent les habitants en otages et incendient 41 maisons. Au hameau du Val Saint-Pierre, ces mêmes SS tirent sur les maisons et tuent une jeune femme. A Hary, dix habitants sont pris en otage, quatre maisons sont incendiées. Le 31 août toujours, à Plomion, un camion allemand fait l’objet de tirs isolés. Vingt hommes sont immédiatement arrêtés, 14 seront fusillés et 38 maisons incendiées. Le 2 septembre, plus au nord du département, en représailles au mitraillage la veille d’un camion allemand au passage à niveau de Boué, une colonne allemande met à feu et à sang les hameaux du Gard d’Etreux et de La Junière. Les SS brisent portes et fenêtres, chassent les habitants des maisons à coups de crosse, frappent, mutilent, massacrent les hommes valides devant femmes et enfants terrorisés. 25 maisons sont incendiées et 36 personnes exécutées. Seul le drame de Tavaux fut cité au procès de Nuremberg, il n’y eu jamais d’enquête pour crime de guerre.
Epilogue
Pierre Maujean ne s’est jamais remis du drame du 30 août 1944, de la mort de sa femme et du massacre des civils. Il s’est donné la mort en 1963.
Il était titulaire de la Légion d’Honneur, de la Croix de Guerre et de la Médaille de la Résistance.
Les noms d’Odette Maujean et d’Henri Mourain figurent parmi les noms des 504 martyrs de la résistance ardennaise au Mémorial du plateau de Berthaucourt à Charleville Mézières. Odette Maujean était titulaire de la Croix de Guerre, de la Médaille de la Résistance et de la Médaille de Bronze de la Famille Française.
LE TEMPS DE LA SOLIDARITÉ
Dans les semaines qui suivirent la Libération, un élan de solidarité, orchestré par le journal parisien Ambiance
, animé par Pierre Bloch, conseiller général du canton de Marle, s'organisa. Une vaste souscription fut lancée et des dons affluèrent de partout.
Dans son numéro du 1er août 1945, Ambiance adopte Tavaux
et deux pages, avec de nombreuses photographies, lui sont consacrées. Des appels aux dons sont lancés. Les directeurs du journal et son personnel donnent l'exemple et versent une partie de leur salaire pour Tavaux. Une souscription est lancée et les dons affluent.
Pages du journal "Ambiance" consacrées à Tavaux - Ces documents témoignent de la mobilisation nationale pour venir en aide aux sinistrés du village martyr.







Kermesse à TAVAUX
Pour redonner du baume au cœur des habitants de Tavaux, une journée festive, une kermesse fut organisée le 16 .. 1946. Le baryton André Pierrel vint chanter à la messe du matin à 11h puis, l'après-midi, la place du village s'anima au son de l'accordéon
. Cette journée festive commença par un concours du plus beau bébé suivi d'un discours de Pierre Bloch et du Préfet de l'Aisne.
Puis vint le programme de Music-Hall avec l'illusionniste Maubert, le comédien Naveau, le baryton André Pierrel, le comique Dréard, l'accordéoniste Colette Vivia. Un sketch de Courteline interprété par Jean Tissier et sa femme clôtura l'après-midi puis jusqu'à tard dans la nuit, un bal populaire rassembla les habitants du village.

Reconstruction, dommages de guerre et baraquements

A la Libération, la tâche à accomplir est immense face à l'ampleur des destructions : 5 millions de sinistrés, 2 millions de sans-logis, 500000 maisons rasées, 1851 villes ravagées, 120000 usines détruites. La reconstruction s'organise sous l'égide du Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme (MRU) créé en octobre 1944 par le gouvernement provisoire du général De Gaulle.
Le financement de la reconstruction fut régi par la loi sur les dommages de guerre d'octobre 1946. Les immeubles d'habitation, commerciaux ou industriels étaient prioritaires. Les biens immobiliers personnels étaient peu ou pas indemnisés et les futurs indemnisés devaient se soumettre à des règles contraignantes.
Dans chaque département, le MRU est représenté par une délégation chargée d'approuver et contrôler les Plans de Reconstruction et d'Aménagement (PRA).
Tavaux en raison des nombreuses destructions obtint rapidement sa qualité de commune sinistrée
mais la commune ne put commencer à reconstruire sans avoir présenté au M.R.U. (Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme) un plan de reconstruction et d'aménagement. Les chantiers étaient confiés à des urbanistes, des architectes et des entreprises, agréés par l'État, choisis et imposés depuis Paris.
A Tavaux, les urbanistes en profitèrent pour rectifier certaines voiries, ce fut le cas pour la rue des Bernats, la rue à l'Eau (actuelle rue des Fusillés) où les maisons à reconstruire furent ainsi déplacées de quelques mètres pour créer une rue suffisamment large et permettre le passage d'un véhicule qui auparavant devait emprunter le lit du ruisseau.
Les reconstructions n'ont été ni totalement modernistes, ni totalement à l'identique. Les nouvelles constructions se sont inspirées de l'habitat ancien. A Tavaux, les maisons de la reconstruction sont nettement repérables, chaque entreprise ou artisan ayant laissé sa marque.
Conscients que les bâtiments définitifs ne seraient pas livrés avant longtemps, obligés de contenir un mécontentement populaire de plus en plus sensible, responsables gouvernementaux, édiles et urbanistes durent se résoudre à construire du provisoire. L'année 1947 fut celle de la construction massive de baraquements dans toutes les villes et communes sinistrées. Ces maisonnettes étaient fabriquées en France ou livrées par la Suède, la Grande-Bretagne, les États-Unis ainsi que par l'Allemagne et l'Autriche au titre des réparations. Comparés aux logements insalubres nombreux dans tout le pays, ils offraient un certain confort mais la promiscuité était grande.
Les baraquements
Durant plusieurs années, comme ailleurs en France et en Europe, beaucoup d'habitants de Tavaux furent donc contraints de vivre dans des baraquements de fortune avant de voir leur maison reconstruite.


A Tavaux, rue de la Montagne, il est toujours possible de voir une de ces baraques en bois recouvertes de papier goudronné. Elle a été modifiée, restaurée avec des matériaux modernes. Elle est restée longtemps habitée et fait partie du paysage des villages martyrs.

Rue de Malaise, la maison Pilloy, autrefois ferme Vilin, possède un baraquement comparable à celui de la rue de la Montagne. Construit sur une base en dur (sous-bassement de briques), les parois en bois étaient recouvertes de papier goudronné, l'intérieur comprenait 4 pièces disposées en croix.


Les maisons de la reconstruction
Quelques exemples à Tavaux.


rue à l'Eauou rue des Bernats en 1944



1947, UNE RECONNAISSANCE NATIONALE, L'ATTRIBUTION DE LA MÉDAILLE DE LA RÉSISTANCE FRANCAISE POUR TAVAUX

En mars 1947, par décret, la Commune de Tavaux fut décorée de la Médaille de la Résistance Française au même titre que 16 autres communes de France (1).
En 1988, elle reçut la Médaille de Vermeil de la Ville de Paris.
Il a cependant fallu attendre septembre 2007 pour que la commune de Tavaux accepte d'accueillir le drapeau des villes et villages médaillés de la Résistance Française, ce qui donna lieu à une importante cérémonie.
Tavaux, est la seule commune de la région Hauts de France décorée de la Médaille de la Résistance Français.
(1) BETHINCOURT, BREST, CAEN, CANIAC DU CAUSSE, LA CHAPELLE EN VERCORS, L'ILE DE SEIN, LYON, MARSOULAS, MEXIMIEUX, MONCEAU les MINES, NANTUA, OYONNAX, PLOUGASNOU, SAINT NIZIER DU MOUCHEROTTE, TERROU, THONES.

1947, un monument pour ne pas oublier


Le 2 mars 1947, le Conseil municipal de Tavaux présidé par Henri Vié, maire et président du comité d'érection du Monument aux victimes du 30 août 1944, accepte le projet présenté par M. Poëlle, architecte urbaniste au service du MRU (Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme*). Outre M. Vié, le comité d'érection du Monument était composé de : Pierre Maujean, Paul Oget et Arthur Riéra.
* Créé en octobre 1944, ce ministère est représenté dans chaque département par une délégation dont la mission est l'approbation et le contrôle des plans de reconstruction et d'aménagement (PRA) du bâti détruit par fait de guerre. Elle gère les passations de marchés après les appels d'offres, et les crédits affectés aux réparations d'urgence, ainsi que l'établissement de cités provisoires de baraquements pour loger les populations sinistrées.
TAVAUX appel aux dons et donateurs
Pour financer le monument, une collecte fut organisée à travers toute la France. Voici quelques documents attestant de cette mobilisation nationale.




30 août 1947, l'inauguration du monument aux martyrs
L'inauguration du Monument est fixée par le Conseil municipal de Tavaux au 30 août 1947.

Le programme annoncé dans la presse
Cette cérémonie est placée sous la présidence du ministre des Anciens Combattants et Victimes de la guerre, du préfet de l'Aisne, de Mgr Douillart, évêque de Soissons, Laon et St Quentin.
- 10h30: Messe pour le repos de l'âme des disparus, présidée par l'évêque et suivie de la bénédiction du Monument
- 14h45: Place de la Gare, réception du ministre des A.C., du préfet, de l'évêque et des personnalités officielles
- 15h00: Inauguration du monument, discours, chants par les enfants des écoles et les élèves de la colonie de vacances de La Neuville-Bosmont
Les honneurs seront rendus par une unité de la Garde républicaine avec sa fanfare et les musiques de Marle, Montcornet et Vigneux-Hocquet réhausseront la manifestation. Des trains spéciaux partiront de Marle et Montcornet à 14h, retour à 18h15.

Le récit de la cérémonie
(D'après un article de J. Bruneteaux paru dans La Dépêche de l'Aisne du 3 septembre 1947).

« Un monument symbolique
Le monument a été conçu par M. Poëlle, architecte-urbaniste au ministère de la reconstruction qui a charge de relever les ruines du village. Imaginez une pierre de Meuse, timbrée à la croix de Lorraine et sur laquelle sont gravés les noms des victimes. Elle penche et va tomber, comme les murs des maisons de Tavaux se sont écroulés mais ce faisant, elle écrasera la croix gammée, cette immonde araignée
, figurée à ses pieds. Dans une vasque coule une eau vive et toujours renouvelée, symbole de pérennité du souvenir des disparus. C'est la fontaine Marteau qui ne tarit jamais qui alimente la vasque. L'œuvre, très sobre, très belle, a été réalisée par M. Capouet, entrepreneur à Montcornet. A ses pieds une inscription souligne le symbole : Une pierre de France, l'eau de la rivière, leur souvenir
.

Imaginez une pierre de Meuse […]. Elle penche et va tomber, comme les murs des maisons de Tavaux […] ce faisant, elle écrasera la croix gammée, « cette immonde araignée », figurée à ses pieds
La veille, anciens combattants de 14-18, prisonniers de guerre, résistants FFI et membres de la municipalité organisèrent autour du monument une veillée funèbre à la lumière des projecteurs.
Le samedi matin, 30 août, un service religieux fut célébré dans l'église épargnée de Tavaux par l'abbé Poindron, curé de Tavaux en présence de Monseigneur Douillart, évêque de Soissons, Laon et St Quentin et de nombreuses personnalités ecclésiastiques. Mgr Douillart alla ensuite bénir le monument. Une grande banderole tendue en travers de la route où est inscrit MERCI POUR NOS MORTS !
accueille les visiteurs qui l'après-midi se rassemblent place de la gare peu avant 15h. Amenés par camions ou par une micheline venant de Marle et Montcornet, le nombre des visiteurs augmente sans cesse. Partout des drapeaux tricolores. La foule est grave pour rendre un suprême hommage aux victimes de Tavaux.
Parmi les personnalités : M. Hudeley, Préfet de l'Aisne, le général Rivaud, Mgr Douillart, M.M. Desjardins et Hulin, députés, Sauer, conseiller de la République, Petit et Chapelet, conseillers généraux et de nombreux maires e la région. Ils sont accueillis par M. Vié, maire de Tavaux, Paul Oget, adjoint, le lieutenant Maujean, le lieutenant Leroy, les conseillers municipaux, Arthur Riera, des Anciens Combattants et M. Octave Oget, l'instituteur. Parmi les officiels encore : M. Ducoussot, délégué départemental à la Reconstruction et M. Poëlle, le général Daine, le commandant Durand des prisonniers de guerre, l'adjudant-chef de Gendarmerie Tison, le chanoine Millot et M. Burlot, président de l'Amicale des déportés d'Hirson, M. Normand, curé doyen de Marle, M. Georges Lallement, capitaine FFI du secteur des Ardennes auquel était rattaché Tavaux, M. Renaudin, président du comité d'érection du monument de Plomion, etc…
En tête du cortège, les enfants des écoles de Tavaux et leurs maîtres et maîtresses, M. et Mme Quévreux, les petits St-Quentinois de la colonie de vacances de La Neuville-Bosmont, la fanfare de Montcornet, les cliques de Montigny-le-Franc et Vigneux-Hocquet et de nombreuses autres délégations venues des environs.
Le cortège s'ébranle en direction de la place sur la route encore bordée de maisons en ruines. Un dépôt de gerbe est effectué au monument aux Morts suivi par la sonnerie aux Morts puis le cortège repart en empruntant la Grand'rue vers le monument. On peut lire sur une banderole : ICI, L'ARMÉE ALLEMANDE S'EST DÉSHONORÉE
.
Puis, c'est l'arrivée au monument voilé de blanc comme un linceul. Les FFI encadrent le monument devant lequel les familles endeuillées viennent se placer. Derrière les familles, en demi-cercle les drapeaux des délégations et la foule. Derrière le monument, sur une petite éminence prennent place la musique de Montcornet, les enfants et les autorités. Une tribune décorée de feuillage se dresse à côté. Les couleurs sont hissées puis le lieutenant Maujean et M. Poelle découvrent la stèle alors que retentit la sonnerie aux Morts. M. Oget, l'instituteur et ses élèves s'avancent, c'est l'appel des morts. Après une minute de recueillement, la Marseillaise retentit. Le Préfet, le général et l'évêque, accompagnés de MM. Oget, Vié et Maujean, saluent les familles endeuillées. Les enfants de St Quentin chantent alors le Chant des Partisans.
Les discours : M. Octave Oget, au nom du comité d'érection, M. Vié, maire de Tavaux, M. Raoul Sauer, conseiller de la République, M. Desjardins, député et M. Hudeley, préfet de l'Aisne se succèdent ensuite à la tribune pour y prononcer un discours.
M. Oget, après avoir évoqué, la tragique journée du 30 août et ses innocentes victimes, rappela le sens de ce monument dont la pierre de Meuse symbolise à ses yeux la résistance à l'oppresseur : Lorsque les ruines se seront effacées, que nos maisons seront enfin reconstruites, que le souvenir des morts se sera estompé pour se fondre en une douloureuse page d'histoire, ce monument continuera d'évoquer le sacrifice de nos morts à la Patrie. Il nous donnera toujours une leçon de vigilance et d'union
. Il termine en saluant les familles des victimes et remercie au nom du Comité d'érection, les personnalités présentes et tous les généreux donateurs. M. Vié poursuit par un vibrant éloge de la Résistance puis rend hommage aux martyrs en terminant par cet appel : Nos martyrs nous crient : Non ! Assez de massacres !
.
M. Raoul Sauer, au nom du Parti Communiste tout comme M. Desjardins appellent ensuite à l'union, à la concorde nationale pour relever la France. M. Hudeley, préfet de l'Aisne clôtura en rappelant que les nombreux monuments comme celui de Tavaux qui jalonnaient désormais la France marquaient le courage, la souffrance et l'abnégation des enfants de France. Après un vibrant éloge des FFI et de la Résistance, un rappel du sacrifice des soldats, otages, déportés qui ne fut pas vain, il insista sur les tâches immenses qu'il restait à accomplir pour redresser la France et la nécessité de l'union.
La Marseillaise marqua la fin de la cérémonie qui se termina par un vin d'honneur à la mairie (fraichement rebâtie).


Le temps des commémorations
Depuis 1947, chaque année, le 30 août à Tavaux, a lieu une cérémonie commémorative. Depuis quelques années, cette cérémonie chaque année renouvelée n'attirait plus qu'un public assez restreint. Le 15 septembre 2007, à l'initiative du nouveau maire de Tavaux, M. Philippe Richet et de M. Daniel Chapelet, ancien résistant qui participa à la libération de Tavaux et président des Anciens de la 1ère DFL de l'Aisne, une importante cérémonie commémorative se déroula à Tavaux sous la présidence de M. Olivier de Sarnez, président de l'association nationale des communes médaillées de la Résistance Française.
Cette cérémonie fut l'occasion du lancement officiel du projet de Mémorial départemental des villages martyrs de l'Aisne. Les officiels eurent alors l'occasion de découvrir dans l'église désaffectée de Pontséricourt une exposition sur le drame de Tavaux du 30 août 1944.
Vint ensuite en février 2008, la création de l'association AMDVMA qui porta haut et fort de ce projet, réhabilita la cérémonie commémorative du 30 août et contribua à faire sortir de l'oubli ce haut de la Résistance Française qu'est Tavaux.

Les cérémonies commémoratives à Tavaux - De 2007 à 2014, les commémorations ont contribué à perpétuer le souvenir des événements tragiques du 30 août 1944 et à honorer les victimes du massacre.











Il n'existe qu'un seul endroit en France où le nom de Tavaux figure en tant que village martyr, c'est au Mémorial de la Résistance de Vassieux en Vercors (Isère). Rien à Oradour sur Glane.
